2017-Elections-Mgr Wintzer
LETTRES AUX ÉLECTEURS CHRÉTIENS
« Vouloir fermer les portes d’un pays est totalement illusoire »
PASCAL WINTZER, ARCHEVÊQUE DE POITIERS
Dans ses Lettres luthériennes, des tribunes qu’il publia en Italie l’année de sa mort, Pier Paolo Pasolini tient ces propos : « Hors d’Italie, dans les pays “développés” – surtout en France –, les jeux sont faits depuis déjà un bon bout de temps. Il y a longtemps que le peuple n’existe plus, anthropologiquement. Pour les bourgeois français, le peuple est formé de Marocains ou de Grecs, de Portugais ou de Tunisiens. Et ceux-ci, les pauvres diables, n’ont qu’à apprendre au plus vite à se comporter comme les bourgeois français. C’est ce que pensent les intellectuels aussi bien de gauche que de droite, tout à fait pareillement. » Ce texte date du 15 juin 1975.
L’artiste pointe, dès 1975, ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, la France est en effet un pays populaire. Avec la mondialisation, cette France a été laissée au bord de la route, celle de la ruralité et des anciennes régions industrielles. Reconnaissons-le, des personnes comme Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon savent parler aux « gens », savent leur dire qu’ils comptent et que leur souffrance, leur inquiétude, ils peuvent y répondre. On explique ici que les deux électorats peuvent se croiser. Ce sont les mêmes engagements qui ont conduit un milliardaire new-yorkais à devenir président des États-Unis il y a quelques mois. Je résiste dès lors à penser que des solutions simples permettraient de répondre à des défis, à des difficultés, qui ne sont pas enfermés dans les frontières françaises. L’élection de Trump et le Brexit manifestent des problèmes semblables et des solutions qui le sont pareillement.
Face au choix du vote Front national, l’appel moral (le FN c’est mal, le reste c’est bien) n’est d’aucune utilité, et il est inaudible. Mon attitude s’appuie sur ce que je perçois de la réalité : visitant des entreprises, et souvent des PME, dont des exploitations agricoles, je constate qu’elles sont pour la plupart ouvertes au marché international. Je rencontre des entrepreneurs qui s’engagent pour innover, développer et de nouveaux produits et de nouveaux emplois. C’est vrai, tout n’est pas idéal, il y a des échecs, mais la condition de ces succès, c’est l’innovation, et elle passe toujours par des hommes. Plutôt que d’écouter quelques tribuns, je trouve plus bénéfique de regarder ceux et celles qui agissent, dans la vie économique, dans les administrations, parmi les élus. Quoi qu’on en dise, ici et là, beaucoup sont très capables de regarder des situations, d’envisager ensemble des solutions et de se mettre d’accord pour les mener à bien, quelles que soient les convictions, de gauche ou de droite.
Je me plais aussi à penser que le système politique français, la V République, est une des raisons des malheurs du pays. Ce régime était lié à une personne et à une situation : De Gaulle et les deux crises majeures que furent la Seconde Guerre mondiale puis la guerre d’Algérie. Nous ne sommes plus dans ce contexte et de Gaulle est mort en 1970, tout miser sur l’élection d’une seule personne exacerbe les attentes et, dès lors, les déconvenues.
Rien ne sera donc joué au soir du 7 mai, le choix d’une personne quelle qu’elle soit ne résoudra pas des problèmes qui sont plus anciens et plus vastes qu’on peut se plaire à le penser. D’abord les réformes de fond s’inscrivent sur le temps long, et non sur les quelque cinq années d’une mandature, et surtout sur un espace vaste, celui du monde. Vouloir fermer les portes d’un pays est totalement illusoire, et ce serait à l’évidence contre-productif, avons-nous si peu d’estime pour les entreprises françaises et pour son agriculture que nous les croirions incapables de s’inscrire sur un marché mondial ? Combien d’exemples prouvent le contraire.
Pour ma part, c’est en raison de son manque d’ambition et de courage que je ne voterai pas Marine Le Pen. Je crois dans les capacités du peuple de France et je m’efforce de toujours le souligner. Ceci désigne pour moi l’enjeu essentiel du pouvoir politique : l’éducation et la culture, ainsi que le chemin à employer : la pédagogie qui dit le monde de 2017 et celui qui est devant nous. Stigmatisant les « élites », le « système », Marine Le Pen n’assume pas le costume qu’elle veut endosser. Oui, tout groupe humain a besoin d’élites, de personnes qui l’aident à regarder plus haut et à aller de l’avant. En raison d’une mission reçue, d’une compétence ou d’un charisme spécifique. Ce qui est intolérable, c’est d’abuser de ces qualités pour en tirer des avantages personnels, mais il est également intolérable de s’y dérober au profit de discours qui masquent les difficultés auxquelles on ne peut répondre qu’à la mesure où on les nomme et les reconnaît.
Enfin, parce que je suis croyant, je me réjouis que la campagne du second tour de l’élection présidentielle ait heureusement oublié les questions religieuses et confessionnelles ; quelques candidats du premier tour ont trop mélangé les genres. Il revient cependant aux religieux, dont je suis, d’être investis dans ce qui nous est propre. En effet, la vraie sécurité, elle est avant tout intérieure, elle est le squelette spirituel, philosophique, religieux que se donnent les habitants d’un pays. En l’absence de ce squelette, on sera voué à la recherche d’une armure, faussement protectrice, et désignant l’extérieur, l’autre, quel qu’il soit, comme ce qui met en danger, alors que le vrai combat est intérieur.
Mgr Pascal Wintzer
La Croix – vendredi 28 avril 2017
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